L'adoption du projet de loi par le Sénat :


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Le Sénat a adopté ! 

Mercredi 8 novembre, à 5h27 du matin le Sénat après deux années et demi d’atermoiements adopte à une large majorité le génocide arménien. La foule présente dans les balcons de l’hémicycle a accueilli le résultat du scrutin par des cris de joie suivis rapidement par la Marseillaise. Du jamais vu au sénat.  

Il y a trois semaines, sous la pression du gouvernement turc, l’intervention du Président Clinton au dernier moment au Congrès, pour retirer la proposition de la loi sur le génocide, faisait planer un doute dans l’esprit des citoyens d’origine arménienne sur le déroulement des opérations en France. 

Des signes positifs

Mais certains signes avant et pendant le débat au sénat nous permettaient d’attendre le résultat avec une certaine confiance. Depuis quelques semaines, ADL notait avec satisfaction des retours favorables en réponse à une campagne d’information et d’incitation à un vote positif venant des sénateurs qui avaient votaient contre la discussion immédiate le 21 mars. Le signal le plus clair était la communication faite le 28 octobre, par le sénateur Adrien Gouteyron, secrétaire général du RPR, qui demandait à ses collègues sénateur de voter la proposition de la loi présentée par J.Claude Gaudin. Il était évident que M. Gouteyron n’aurait pas pris cette initiative sans l’aval ou au moins la neutralité bienveillante de l’Elysée. L’article paru dans le journal turc SABAH du 4 novembre montrait l’inquiétude de l’Ambassadeur turc en France Sönmez Köksal quant à l’issue du vote. Autre signe, le lundi 6 novembre une délégation de parlementaires turcs qui voulaient visiblement exercer une pression ultime se sont vu refusé un entretien avec Christian Poncelet et les présidents de groupes au sénat. Pendant la longue nuit du 7 au 8 novembre nous avons noté la visite nocturne du Président Poncelet dans l’hémicycle discutant tour à tour avec plusieurs sénateurs. Or si celui-ci avait des instructions pour bloquer le débat il ne se serait pas manifesté d’une façon si évidente. Le débat concernant le texte sur le génocide a commencé à 2h00 du matin, après l’épuisement de l’ordre du jour. La séance est présidée par Jacques Valade(RPR). Première étape l’acceptation ou le refus de la discussion immédiate. Jacques Pelletier (RDSE) a expliqué, dans un discours très argumenté et dépassionné, que les massacres des arméniens de 1915 en répondant aux cinq critères de la définition du mot était un génocide exemplaire. Il s’agit de faire comprendre à la Turquie que ce texte ne condamne pas le gouvernement actuel mais qu’en revanche sa persistance dans le négationnisme « lui procure plus d’inconvénients que d’avantage » et notamment dans l’optique de l’entrée de la Turquie dans l’UE. Ensuite, J.-R. Delong (RPR), adversaire de la discussion immédiate, tout en acceptant la réalité du génocide, a mis en avant « l’incompétence du Parlement et l’inopportunité de légiférer. » Puis J.J. Queyranne, exprimant le point de vue du gouvernement Jospin, dans un discours d’une banalité affligeante a rappelé les propos du Ministre des Affaires étrangères H. Vedrine et les éternels arguments de la paix dans le Caucase du sud. A 2h45 les sénateurs ont voté avec une large la majorité pour la discussion immédiate. Un soulagement pour les ‘citoyans’ dans les balcons et un signe positif de plus dans la photo : Jean Yeremian balance pour ou contre le projet. Ensuite un certains nombre de sénateurs pour ou contre le texte prennent la parole : Xavier de Villepin (contre), Jacques Peyrat (RPR, pour), Louis de Broissia (RPR, pour), Michel Pelchat (RI, contre), Robert Bret (PC, pour), Paul Girod (RDSE, contre), Claude Huriet (UC, dépose un amendement pour reconnaître tous les génocides), Bernard Piras (PS, pour), Gérard Collomb (PS, pour), Bernard Sellier et H. Durand-Chastel (NI, contre), Guy Fischer (PC, pour). Il est déjà 4h12. J.R. Delong et M. Pelchat (pour mémoire président et vice-président du groupe amitié France-Turquie au sénat) déposent une motion de censure pour l’exception d’irrecevabilité. Alors intervient J.C. Gaudin (RI). Il rappelle qu’il y a 22 ans il demandait déjà la reconnaissance du génocide et conteste l’idée que le moment n’est pas favorable pour adopter ce texte ainsi que la proposition d’associer les autres génocides à celui subi par le peuple arménien. A la fin des débats la motion d’irrecevabilité est rejetée par 171 contre 58. J.R. Delong quitte l’hémicycle. Encore un point positif. Ensuite sont rejetés l’amendement et le sous amendement visant à inclure les autres génocides dans le texte. Le vote attendu est proche. A 5h24 le scrutin est ouvert. Votants 208, suffrages exprimés 204, pour 164, contre 40. Le sénat a adopté le texte « La France reconnaît publiquement le génocide arménien du 1915. »

Article tiré de La Lettre de l'ADL   29, Rue E. Dolet 94140 Alfortville

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La lettre de l'UGAB :

Le Sénat a enfin voté la reconnaissance du génocide des Arméniens. Il faudrait presque le répéter pour le croire. Plus de deux ans après le vote de l’Assemblée nationale, ce qui semblait relever d’une impossible gageure est devenu réalité. La détermination des Arméniens et la persévérance des associations regroupées autour du Comité du 24 Avril ont été récompensées au petit matin du 8 novembre. Ce dénouement, dont la dimension politique n’échappe à personne, était moralement indispensable. Ce vote, il va sans dire, honore la France en dépit, il faut toutefois le rappeler, de l’hypocrisie du pouvoir exécutif et des tergiversations de toutes natures et de tous bords. L’on retiendra néanmoins l’essentiel, le texte adopté par les sénateurs, toutes tendances confondues, à une majorité écrasante : «La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915.» Il est de surcroît rassurant de constater que la revendication légitime de citoyens français a eu davantage d’effet que l’arrogante ingérence d’un Etat étranger.
Les longs mois de lutte entre le 29 mai 1998 et le 8 novembre 2000 paraîtront désormais comme un bref épisode d’un combat de plus longue haleine encore. Ce succès n’est que la première étape vers l’aboutissement de nos revendications défendues solidairement, avec ténacité, par l’ensemble des associations et institutions arméniennes regroupées et coordonnées au sein d’une organisation unitaire. Solidarité, ténacité, coordination et unité, voilà bien les maîtres mots de la réussite dont il ne faudra jamais plus se départir, car la lutte ne fait que commencer.
Ces deux années d’acharnement, faites de déception, d’incompréhension, parfois même de désespoir, nous ont somme toute été d’une grande utilité. Nous avons appris à comprendre le langage politique et à en user. Nous avons appris à fourbir nos petites armes et à nous en servir avec intelligence. Nous savons dorénavant qu’aucun combat politique n’est utopique si l’on sait se battre. Le point essentiel est là : il faut savoir se battre.
Et nous devons continuer, porter la lutte pour la reconnaissance du génocide au-delà des frontières de la politique française. Certes, la reconnaissance par la France revêt une symbolique extraordinaire. C’est la patrie des Droits de l’Homme qui s’est prononcée. La sentence est forte, elle portera loin; elle servira d’exemple pour d’autres démocraties qui hésitent encore à franchir le pas. Le Congrès américain pourra-t-il encore longtemps rester à la traîne du Parlement de la France ? En outre, dans l’immédiat, cette reconnaissance pèsera, dès la semaine prochaine, au Parlement européen, dans les discussions sur les conditions de l’éventuelle adhésion de la Turquie à l’Europe.
Cela prouve que notre tâche est loin d’être achevée, à la différence près que maintenant nous savons gagner. Cette victoire juridique est en quelque sorte un exutoire psychologique pour les descendants des victimes du génocide de 1915, et un pas de plus dans la lutte pour la prévention des crimes contre l’humanité. Bien entendu, ce geste de la France et nos pensées s’adressent particulièrement aux rescapés encore vivants, et honorent la mémoire du million et demi d’hommes, de femmes et d’enfants arméniens morts sans sépulture.
Paravon Moukbirian

 

 Article paru dans La Lettre de L'UGAB

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Libération 9 novembre

Les sénateurs n'ont pas l'habitude d'être ovationnés. Hier matin à 5 h 30, à l'annonce dans l'hémicycle du palais du Luxembourg de l'adoption par 160 voix contre 40 d'une proposition de loi visant à reconnaître le génocide arménien perpétré par les Turcs en 1915, le public - principalement d'origine arménienne - s'est levé et a entonné la Marseillaise. Cette explosion de joie intervient dix-huit mois après le vote d'une autre proposition de loi à l'Assemblée nationale en mai 1998 énonçant que «la France reconnaît publiquement le génocide arménien». Soucieux de ménager la Turquie, le gouvernement et l'Elysée s'étaient opposés depuis le début à cette proposition de loi, refusant de la transmettre au Sénat pour des raisons économiques et politiques. Si le texte adopté hier est identique dans ses termes à celui voté au Palais-Bourbon, son origine est sénatoriale et il devra donc retourner à l'Assemblée pour avoir force de loi.

Réticences de l'Elysée. Les sénateurs Jean-Claude Gaudin (RI-DL, Bouches-du-Rhône), Jacques Pelletier (RDSE, Aisne), Bernard Piras (PS, Drôme), Robert Bret (PCF, Bouches-du-Rhône), Michel Mercier (UC, Rhône) et Jacques Oudin (RPR, Vendée) sont à l'origine de la proposition votée hier. Si l'ensemble de la gauche sénatoriale était acquise à la reconnaissance du génocide arménien, il n'en allait pas de même depuis des mois dans les rangs de la droite. Le 22 février dernier, la Conférence des présidents du Sénat avait refusé d'inscrire à son ordre du jour la proposition de loi. Ce refus était dû aux réticences de l'Elysée qui craignait les réactions d'Ankara à la veille d'un voyage de Jacques Chirac en Turquie où devaient être discutés des contrats industriels. La gauche sénatoriale avait aussi tenté de recourir à la procédure de discussion immédiate le 21 mars, mais sans succès. Le groupe RPR avait pesé de tout son poids pour contrer l'initiative.

Hier, il n'y avait pas de consignes de vote, «chacun était laissé devant sa responsabilité», selon un conseiller de l'Elysée. Beaucoup étaient las de voir désigner «le Sénat comme responsable de l'enlisement», explique Philippe Marini (RPR, Oise), vice-président du groupe d'amitié France-Arménie au palais du Luxembourg. Mais surtout l'approche de différentes élections, notamment municipales, est pour beaucoup dans le retournement de la majorité sénatoriale.

Abandon. Le 27 octobre, une quinzaine de sénateurs RPR, dont Adrien Gouteyron, secrétaire général du mouvement gaulliste, proposaient ainsi leur propre texte sur la reconnaissance du génocide. Cette proposition de loi n'a finalement pas été retenue et ils n'ont été que 20 sénateurs gaullistes (sur 99), hier, à voter la proposition Gaudin.

Le «devoir de mémoire» mis en avant lors des débats dans l'hémicycle et les considérations électorales l'ont donc emporté sur les enjeux diplomatiques et économiques. Ceux-ci restent pourtant primordiaux, comme en attestent les réactions des autorités françaises hier après le vote. L'Elysée et le gouvernement ont fait une déclaration commune pour affirmer que le vote «ne constitue pas une appréciation de la Turquie aujourd'hui» et que «la France souhaite continuer à entretenir et développer avec la Turquie des relations de coopération étroite dans tous les domaines».

«Optimiste». Hubert Védrine, entendu le mois dernier par la Commission des affaires étrangères du Sénat, avait déjà exprimé ses réticences quant au vote du texte. Le prochain épisode interviendra lors de l'examen du texte à l'Assemblée nationale. «Je suis optimiste, nous allons continuer nos actions pour que l'Assemblée examine ce texte avant le la fin du XXIe siècle», a expliqué, hier, Alexis Govciyan, président du Comité du 24 avril, collectif regroupant l'ensemble des associations arméniennes. Jean-Paul Bret, député PS et président du groupe d'amitié France-Arménie, a assuré, lui, que la proposition de loi «retournera à l'Assemblée nationale, qui confirmera son premier vote». En attendant, demeure la liesse de la communauté arménienne de France. «On a gagné. On est fiers d'être français», disaient hier les Arméniens restés jusqu'à la fin des débats, forts de la victoire de la nuit.

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LE MONDE 9 novembre

La nation turque « blessée » par le vote du Sénat français sur le génocide arménien

Ankara donne sa version des événements de 1915.
Ankara a réagi, mercredi 8 novembre, à l'adoption, la veille, par le Sénat français, d'un texte qui reconnaît officiellement le génocide arménien. Les autorités turques déplorent un geste inamical qui « porte atteinte aux relations turco-françaises » et donnent leur version des événements de 1915, en récusant le terme de génocide.

ISTANBUL, de notre correspondante Nicole Pope

La Turquie a vivement réagi à la décision prise, mardi 7 novembre, par le Sénat français, de reconnaître le génocide arménien. Dans un communiqué publié jeudi, le ministère des affaires étrangères affirme que « cette décision, qui va à l'encontre des réalités historiques de façon injuste, noircit toute une nation avec des allégations sans fondement. Au cours de son histoire, la nation turque n'a jamais commis de crimes contre l'humanité tels qu'un génocide ». Les autorités affirment également que l'attitude des sénateurs français « porte atteinte aux relations turco-françaises ».

Au début du mois, le président turc, Ahmet Necdet Sezer, et le président de l'Assemblée nationale, Omer Izgi, avaient écrit à Jacques Chirac pour l'avertir que le vote du Sénat pourrait avoir des conséquences sérieuses. Les autorités turques ont fait part de leur mécontentement à l'ambassadeur de France en Turquie, Bernard Garcia, qui a tenté de les rassurer. Il a expliqué, dans plusieurs interviews télévisées, que le texte du Sénat était une initiative purement parlementaire et qu'il ne comportait aucun jugement sur la Turquie d'aujourd'hui.

Ankara accuse le président de la République arménienne d'avoir mobilisé la diaspora pour mener auprès des parlementaires de plusieurs pays une campagne hostile à la Turquie, ce qui « ne sert pas la paix et la stabilité dans le Caucase, ne fait qu'augmenter l'isolement de l'Arménie et ajoute aux souffrances du peuple arménien qui vit dans des conditions difficiles ». Ces dernières semaines, le gouvernement turc, confronté à une démarche similaire menée aux Etats-Unis, avait réagi en menaçant d'interdire l'usage de la base aérienne d'Incirlik d'où s'envolent les avions américains qui patrouillent l'espace aérien au nord de l'Irak. La Turquie avait également menacé d'exclure les firmes américaines des contrats militaires et bloquer le corridor aérien qui mène à l'Arménie.

L'intervention du président Bill Clinton, ainsi que la montée de la violence au Proche-Orient ont convaincu, dans l'immédiat du moins, les Américains de ne pas s'aliéner un de leurs alliés musulmans dans la région. Au Parlement européen également, une initiative sur le génocide arménien a récemment été abandonnée.

RÉACTION ASSEZ MESURÉE

La réaction turque contre la France a été plus mesurée que lorsque la loi sur le génocide arménien avait été adoptée par l'Assemblée nationale en 1998 . La Turquie n'a pour l'instant pas annoncé de mesures de représailles contre les intérêts français. Elle s'est contentée d'exprimer, en termes forts, sa déception et sa désillusion. « La France a pris la République turque à la légère, elle nous a trompés », a ainsi déclaré amèrement Bülent Arkacali, un député francophile du Parti de la mère patrie (ANAP), qui s'était entretenu avec les sénateurs avant le vote. Le communiqué du ministère fait état de l'amitié très ancienne entre les deux pays et affirme que « la nation turque est profondément blessée ».

Ce texte donne aussi la version turque des événements de 1915 dans l'Est anatolien. La Turquie n'a jamais nié que de nombreux Arméniens aient perdu la vie à cette époque-là, mais elle rejette toute notion de génocide et affirme que de nombreux Turcs ont été tués également. « Historiquement, les Turcs ont toujours vécu côte à côte avec les Arméniens en Anatolie et y vivent encore, déclare le communiqué. Cependant, durant la première guerre mondiale, certains éléments arméniens dans les régions est de l'Empire ottoman, ont été les pions de forces étrangères et ont collaboré avec l'ennemi et trahi leur propre pays [l'empire ottoman était alors en guerre contre la Russie]. Ils n'en sont pas restés là, ils ont également massacrés de nombreuses personnes. » Le ministère explique ensuite que « de cette situation est née la nécessité de transférer les Arméniens de l'Est vers d'autres régions ». Les Turcs admettent que la guerre, les conditions climatiques, les épidémies et la malnutrition ont affecté la population de la région, mais ils affirment que « la plupart des Arméniens sont arrivés à leur destination sains et saufs ».

Le ton de ce communiqué et la réaction relativement modérée de la presse turque suggèrent que les dégâts causés aux relations turco-françaises sont pour l'instant limités. Mais la Turquie demande à la France de ne pas envenimer la situation : « Nous attendons de la France que, suivant l'exemple du Parlement européen et de la Chambre des représentants américains, elle ne répète pas à l'Assemblée nationale l'erreur du Sénat. »

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