Le vote définitif :


29 mai 98, l'assemblée Nationale vote une proposition de loi : "La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915".

8 novembre, le Sénat approuve la proposition.

18 janvier 2001 la loi est définitivement adoptée.

Pourquoi une loi, et non une résolution comme ce fut le cas dans d'autres parlements? Pour des raisons liées à la législation française qui ne permet pas pas ce type de vote. C'était donc une loi ou rien.

Les réactions :

I La Turquie envisage des sanctions (AP)Protestations sur Internet (AFP) I Appel au Boycott anti-français (AFP)La presse turque fustige et s'interroge (Reuters)Menace sur les contrats d'armement (AFP) I Comment réagir Côté Turc ? (AFP)Manifestations à AnkaraRéactions de la communauté arménienne (AFP)  I  Réaction de Charles Aznavour (AP)Réaction officielle d'Ankara (AP)  I  Paris tente de dédramatiser (AFP)  I  Le processus parlementaire (AFP)  I  L'annonce du vote par E G Picot  I La communauté arménienne en France I

Génocide arménien: la Turquie réfléchit à des sanctions contre la France

ANKARA (AP) -- La Turquie réfléchit au type de mesures de rétorsion à prendre contre la France, après l'adoption par le Parlement français d'une proposition de loi sur la reconnaissance du génocide arménien de 1915, a annoncé samedi le Premier ministre Bulent Ecevit.

Ankara n'imposera cependant pas de sanctions qui pourraient nuire à ses propres intérêts économiques, a-t-il cependant indiqué. ''Nous allons évidemment préparer un programme (de sanctions) qui ne nous affectera pas'', a-t-il déclaré à la presse.

''Les résultats de notre réflexion sur le type de sanctions que la Turquie peut infliger à la France, sans porter atteinte à sa propre économie, seront connus dans quelques jours''.

Le texte incriminé, selon lequel ''la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915'', a été voté à l'unanimité jeudi par les députés français. La même proposition de loi avait été adoptée dans la nuit du 7 au 8 novembre 2000 par le Sénat. Le texte sera promulgué dans les prochains jours par le gouvernement.

La décision a indigné la Turquie, qui a immédiatement rappelé son ambassadeur à Paris Sonmez Koksal. Les dirigeants du patronat turc ont appelé à un boycott de l'ensemble des biens français. Des Turcs ont aussi manifesté devant l'ambassade de France à Ankara.

Selon la presse turque, le gouvernement envisagerait d'empêcher les entreprises françaises de se porter candidates pour des contrats publics, notamment dans le domaine de la défense.

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Protestations sur l'internet contre la France et les produits français

ISTANBUL, 19 jan (AFP) - De nombreux forums de discussion sur l'Internet (E-groups) reflétaient vendredi la colère de la société turque après l'adoption jeudi en France d'une loi reconnaissant le génocide des Arméniens en 1915.

"Je vais personnellement boycotter les produits français; par exemple, j'irai au supermarché Migros au lieu de Carrefour; je vous invite tous à faire de même", écrivait Basak Karacan dès jeudi dans le E-group Aktuel.

Réponse ce vendredi sur le même forum de Ayahan Ozturk: "D'accord, je participe. Protestons d'abord contre Carrefour, puis contre tous les produits français. Nous devons désormais jouer de notre force de masse. Quand l'Italie a ouvert les bras au chef terroriste Apo (NDLR: le chef rebelle kurde Abdullah Ocalan), la réaction de la société a montré son efficacité. J'appelle tout le monde à y être sensible".

Toujours sur Aktuel, Hulki promettait: "Je n'irai pas en France, je ne boirai pas de vin français, je n'apprendrai pas la langue française. Les voitures Renault et les bateaux Bénetteau sont français; autant que possible, je ne choisirai plus de produits français parce que mon pays compte plus que tout".

Sur un E-group de Superonline, Goncagul écrit: "Selon moi, il faut renoncer à acheter des chars d'assaut, arrêter d'acheter des produits français, et l'Etat turc doit montrer une ferme réaction à la France, son président et sa presse."

Le site internet Turk.net, qui a également ouvert un forum où s'expriment les mêmes sentiments, a effectué vendredi un sondage parmi 250 de ses affiliés, où il est demandé à chacun son "opinion sur l'adoption du projet de loi arménien" par la France.

A 85%, les internautes interrogés dénoncent le geste des députés français, 44% optant pour la réponse "mauvaise décision, la France sera touchée" et 41% choisissant de répondre "attitude erronée, le Parlement français n'a pas à se mêler de l'Histoire".

Seuls 15% des sondés sont d'un avis contraire, 9% estimant qu'il s'agit d'une "accusation concernant l'Empire ottoman, la Turquie se vexe sans raison" alors que 6% de cet échantillon répond: "Décision correcte, cette réalité doit être acceptée".

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Tension, manifestations et appels au boycottage anti-français en Turquie

ANKARA, 19 jan (AFP) - La reconnaissance par la France du génocide arménien a provoqué vendredi des manifestations d'hostilité et de multiples appels au boycottage économique et culturel en Turquie, dans une ambiance politique de tension froide.

Le président turc Ahmet Necdet Sezer a appelé son homologue français Jacques Chirac et son gouvernement à "agir" pour rendre "inefficace" la loi, en déposant un recours devant le Conseil constitutionnel, unique possibilité restante.

Mais le ministre des Affaires étrangères Ismail Cem a reconnu sur la chaîne de télévision CNN Turk qu'il n'avait "pas trop d'espoir".

"Cette loi va sûrement avoir des répercussions très défavorables sur les relations turco-françaises", a souligné le porte-parole de M. Sezer devant la presse.

Déjà, le mal se fait sentir, et les appels au boycottage se multiplient, que ce soit par des particuliers sur l'internet ou des associations.

Les dirigeants de plusieurs syndicats, notamment celui des fonctionnaires, Resul Akay, ont appelé le gouvernement à fermer toutes les installations françaises en Turquie et à lancer une campagne demandant aux Turcs vivant en France de retirer leur argent des banques françaises. "Les produits français doivent être boycottés", a déclaré M. Akay, cité par Anatolie.

Le président de la Chambre de commerce de Konya (centre) en a fait de même vendredi: "Nos 25.000 membres sont appelés à suivre ce mouvement", a-t-il dit.

Le président des Chambres et Unions de commerce de Turquie (TOBB), Fuat Miras, a indiqué qu'il envisageait de lancer un appel à ses membres pour qu'ils revoient leurs liens commerciaux avec leurs partenaires français et n'importent plus de produits français, selon Anatolie.

La France est l'un des principaux partenaires de la Turquie avec un volume d'échanges commerciaux de plus de 4 milliards de dollars en 1999.

L'Université d'Istanbul a annoncé l'arrêt à partir de vendredi de ses relations scientifiques avec des partenaires français. Son recteur Kemal Alemdaroglu a déclaré que "tout contact scientifique" avec les universités Descartes, de Toulouse et de Strasbourg avait été rompu, et annulé la visite prévue d'universitaires de l'Université Paris Sud dans le cadre d'un programme d'échange.

Annulée également une réunion de hauts responsables militaires turcs et français prévue la semaine prochaine en Turquie pour évoquer la coopération bilatérale, a-t-on appris auprès du ministère turc de la défense.

Et la menace est lourde d'annulation de contrats ou d'une mise à l'écart des firmes françaises d'appels d'offre dans le domaine militaire, que ce soit pour un satellite espion ou pour des chars de combat, selon les analystes.

Les sanctions contre la France doivent être déterminée après le retour de l'ambassadeur turc à Paris Sonmez Koksal, rappelé en consultations, avait indiqué jeudi un porte-parole du gouvernement.

M. Cem a précisé qu'il devait s'entretenir vendredi soir à Ankara avec M. Koksal.

Plusieurs manifestations hostiles se sont déroulées devant l'ambassade de France à Ankara et le consulat à Istanbul.

Les ultra-nationalistes Ulkucu (Idéalistes), groupe proche du Parti de l'Action Nationaliste (MHP, au pouvoir) ont été les plus virulents: "France, ne te trompe pas, n'épuise pas notre patience!" ou encore: "Les bâtards de la France ne peuvent nous faire céder", ont-ils scandé devant l'ambassade.

Quelque 200 des leurs ont aussi manifesté devant le consulat à Istanbul, jetant des oeufs contre les fenêtres du bâtiment et une bousculade avec la police s'est terminée sans incident.

La presse exprimait son amertume: "Adieu France", titrait à la une en français, vengeur, le quotidien à grand tirage Hurriyet.

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La presse turque fustige Paris mais s'interroge sur le génocide

par Ralph Boulton

ANKARA (Reuters) - La presse turque dénonce la reconnaissance par le Parlement français du génocide arménien de 1915, mais derrière la violence de la plupart des manchettes transparaît l'amorce d'une remise en question.

"Pendant des années, la Turquie a pensé qu'il était suffisant de proclamer l'absence de génocide, mais elle n'a pris aucune initiative pour faire la preuve qu'il ne s'est pas produit", lance Mine Kirikkanat, éditorialiste de Radikal.

"Comment peut-on croire à la sincérité d'un Etat qui n'a toujours pas archivé, ni traduit en turc moderne, les documents datant de la période ottomane", ajoute-t-elle avant de conclure: "Je veux la vérité".

Le journal à grand tirage Milliyet, moins mesuré, appelle ses lecteurs à "noyer Jacques Chirac sous les messages" et livre les numéros de téléphone et de fax, ainsi que l'e-mail du président.

"La France, responsable de la mort de milliers d'Algériens, accuse la Turquie de génocide", renchérit le journal nationaliste Ortadogu, tandis que Dunya n'hésite pas à menacer Paris de représailles commerciales.

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La France menacée de perdre des contrats d'armements en Turquie

ANKARA, 19 jan (AFP) - La coopération militaire entre la France et la Turquie, ainsi que les contrats dans ce domaine, risquent d'être durement affectés par la crise ouverte avec la reconnaissance française du génocide arménien de 1915, selon des analystes turcs.

Déjà, dans la foulée du vote jeudi du parlement français, une réunion de hauts responsables militaires turcs et français prévue la semaine prochaine en Turquie pour évoquer la coopération bilatérale a été annulée, a indiqué vendredi à l'AFP le ministère turc de la Défense.

La décision des parlementaires français est survenue à un moment où les relations bilatérales étaient au beau fixe et où l'industrie française, notamment militaire, était très bien placée pour obtenir d'importants contrats en Turquie, comprenant la livraison de chars et d'un satellite espion.

Dès l'adoption du texte qui a provoqué la colère de la Turquie, le ministre des Affaires étrangères, Ismail Cem, a laissé entendre que les compagnies françaises pourraient être exclues d'appels d'offres publics d'un montant de plusieurs milliards de dollars.

"D'une manière générale, de telles mesures peuvent être prises pour des appels d'offre d'Etat et pour des contrats militaires", a-t-il souligné.

"Tout peut être affecté", a renchéri le Premier ministre turc, Bulent Ecevit.

La France est actuellement l'un des principaux fournisseurs de la Turquie en matière d'armement, alors que les contrats totaux qu'Ankara envisage de signer, dans les trente prochaines années, avec les industries militaires étrangères s'élèvent à 150 milliards de dollars.

La société publique d'armements terrestres français GIAT est candidate pour produire, en partenariat avec des entreprises turques, 1.000 chars de combat, un contrat estimé à quelque 4 milliards de dollars, sur lequel trois autres sociétés étrangères sont également en lice.

"Les chars français ont passé avec succès les tests en Turquie. Mais des décisions d'intérêt purement électoral compromettent leurs chances", a confié à l'AFP un analyste militaire turc, sous couvert d'anonymat.

Le président de Giat Industries, Jacques Loppion, a déclaré vendredi à Athènes que la reconnaissance du génocide arménien lui inspirait "un petit regret", tout en se refusant à commenter cette décision.

"Je prends acte du vote du parlement, et il ne m'appartient pas de le commenter. Mais j'ai un petit regret. Les essais du char Leclerc en Turquie avaient été très bien réussis, et nous faisions la course en tête", a-t-il dit.

Par ailleurs, la Turquie pourrait exclure des firmes avec lesquelles un contrat a déjà été signé, estiment des analystes.

L'Aérospatiale a signé en 1998 un contrat d'un montant de 600 millions de dollars pour la production en commun du missile anti-blindés Eryx. Le projet n'a pas encore débuté, mais pourrait ne jamais voir le jour, selon ces mêmes souces.

De même, Alcatel, qui a décroché l'an dernier un contrat de quelque 200 millions de dollars pour la construction du premier satellite espion turc, pourrait être exclu de ce projet, notent les observateurs.

Ankara et Paris étaient en outre parvenus l'an dernier à un accord de principe pour la vente à la marine turque de six navires patrouilleurs français de type Aviso, d'un montant d'environ 500 millions de dollars. Le sort de cet accord est aujourd'hui incertain.

Selon le journal turc à gros tirage Hurriyet, daté de vendredi, des compagnies françaises sont également en lice dans un appel d'offre pour la production en commun avec la société publique turque Aselsan des systèmes de navigation de guerre des chasseurs F-16, produits près d'Ankara par le constructeur aéronautique Turkish Aerospace Industries (TAI).

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Accusés de génocide, les Turcs se demandent comment parer au prochain coup

ANKARA, 19 jan (AFP) - Confrontée une fois de plus à l'accusation par un parlement étranger d'un génocide perpétré contre les Arméniens sous l'Empire ottoman, la Turquie s'interroge sur les moyens de mieux faire valoir son point de vue pour empêcher un effet boule de neige.

Les Turcs craignent que la reconnaissance du génocide arménien de 1915 par le parlement français jeudi n'ait un effet d'entraînement auprès d'autres assemblées européennes mais aussi aux Etats-Unis, où le président Bill Clinton n'avait réussi qu'in extremis à arrêter une résolution en ce sens au Congrès, en octobre.

Le gouvernement et la diplomatie turques se font depuis régulièrement étriller, et cette fois encore lors du vote français, pour leur inactivité et leur inefficacité devant le surgissement régulier de la question.

Plusieurs éditorialistes soulignaient vendredi le besoin urgent de mettre en place une stratégie: "La Turquie devrait agir pour créer une nouvelle approche envers la question arménienne avec toutes ses institutions", relevait Sami Kohen, dans le quotidien Milliyet.

Deux axes se dégagent dans les propositions pour une stratégie d'autodéfense: un rapprochement avec l'Arménie, un débat ouvert entre historiens.

Pour Taner Akcam, sociologue et historien turc à l'Université de Hambourg, "si la Turquie s'attaque à la recherche d'une solution à ce problème directement avec l'Etat arménien, il n'y aura plus besoin pour les Parlements étrangers de mettre ça à leur ordre du jour".

"La seule manière pour la Turquie de se réapproprier ce sujet est de le banaliser, de rendre le débat possible. Elle doit aussi faire les gestes nécessaires pour mettre fin à la douleur du peuple arménien", a-t-il dit à l'AFP.

Ilter Turkmen, ancien ambassadeur, estime qu'il est "facile, après coup, de critiquer tel ou tel pour ce qui n'a pas été fait alors pour éviter cela. Mais il n'y a probablement pas moyen de mettre un point final à ce débat, parce qu'il n'y a pas d'histoire véritablement objective", a-t-il dit à l'AFP.

"Je pense qu'une sorte de +comité vérité et réconciliation+, pouvant être établi par des organisations non gouvernementales, historiens des deux parties, représentants des minorités de Turquie et de la diaspora, et intellectuels pourrait être créé. Non pas dans l'idée de donner une réponse définitive, mais pour instaurer une plate-forme où chacun pourrait exposer son point de vue".

"Ce qui doit être fait, c'est nous réveiller et nous embarquer dans une campagne académique pour prouver que nous avons raison", estimait le journaliste Mehmet Ali Birand dans le quotidien de langue anglaise Turkish Daily news.

"Ouvrons vraiment et honnêtement nos archives (ottomanes). Montrons que nous n'avons aucune raison d'avoir peur. Réunissons des chercheurs et créons une commission, en invitant les tenants des revendications arméniennes à s'y joindre", lançait-il.

Le député européen Daniel Cohn-Bendit, co-président de la Commission parlementaire mixte Europe-Turquie, avait de son côté proposé en novembre à la Turquie d'organiser un symposium historique avec l'Arménie et l'Europe sur la question du génocide, après l'adoption par le Parlement européen d'une motion demandant à la Turquie de le reconnaître.

Les massacres et déportations d'Arméniens de 1915 à 1917 ont fait 1,5 million de morts selon les Arméniens, entre 300.000 et 500.000 selon les Turcs.

Ces derniers rejettent catégoriquement la thèse d'un génocide, faisant valoir une répression exercée à l'encontre d'une minorité dont certains membres s'étaient alliés à la Russie en pleine Première Guerre mondiale, et rappelant que des Turcs ont aussi été massacrés par les Arméniens

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Manifestation à Ankara contre la reconnaissance française du génocide arménien

ANKARA, Turquie (AP) -- Environ 300 Turcs ont manifesté vendredi devant l'ambassade française à Ankara pour protester contre l'adoption par le Parlement français d'une proposition de loi sur la reconnaissance du génocide arménien de 1915.

Les manifestants étaient principalement des partisans d'extrême droite du Parti du mouvement nationaliste. Ils ont déposé une gerbe noire devant les grilles et certains ont jeté des pierres sur le gardien. AP

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"Nos morts reposent enfin en paix": la communauté arménienne émue et heureuse

PARIS, 18 jan (AFP) - "Nos morts reposent enfin en paix", s'est exclamée jeudi Carine, 32 ans, en apprenant, avec de nombreux Arméniens rassemblés devant l'Assemblée nationale, chambre basse du parlement français, à Paris, l'adoption de la loi reconnaissant le génocide arménien de 1915.

De portée symbolique, la décision du Parlement français représente cependant pour les Arméniens de France (500.000 personnes) "une victoire" car elle donne du poids aux revendications, par la diaspora arménienne, de reconnaissance du génocide par le gouvernement turc, soutient Emmanuel Leonian, 26 ans, fils de pasteur.

"Je suis de la troisième génération, témoigne Carine, je ne porte pas le fardeau du génocide comme mes grands-parents, mais j'ai vécu toute ma vie dans ce souvenir, j'ai assisté à la messe des morts et manifesté depuis mon enfance chaque 24 avril" (anniversaire de l'arrestation de milliers de dirigeants arméniens par le gouvernement des Jeunes Turcs, NDLR). "Aujourd'hui, c'est un moment très fort, dit-elle avec émotion, je pense à mes grands-parents".

Son grand-père paternel est arrivé en France en 1915, rescapé du génocide, ses autres grands-parents sont venus en 1923, avec la grande vague d'immigration accélérée par le traité de Lausanne de la même année.

Venant par bateaux de Grèce, de Bulgarie, de Syrie, du Liban, de Turquie, les Arméniens, comme les grands-parents de Carine, ont débarqué à Marseille (sud de la France), où ils ont travaillé comme manoeuvres puis ont essaimé jusqu'à Paris.

La jeune femme a appris l'arménien, la "langue du coeur", en même temps que le français, raconte-t-elle. Comme pour beaucoup de jeunes, la fidélité à la terre d'origine passe par la culture et les traditions. Avec l'association "Terre et Culture", elle est partie à plusieurs reprises sur des chantiers de jeunes restaurer des sites en Arménie, en Syrie et en Iran.

Pour d'autres, comme Emmanuel, c'est l'Eglise qui est le point d'ancrage.

Les plus âgés vivent avec encore plus d'émotion ce jour de reconnaissance. Samuel, 55 ans, cadre bancaire, est venu de Lyon (centre-est) attendre devant l'Assemblée le vote des députés. "Vous ne pouvez pas savoir ce que cela signifie, dit-il, c'est toute ma vie qui est en train de défiler devant moi". Ses parents ont perdu "toute leur famille. Ils ont été orphelins à deux ou trois ans". Son père, dit-il, a été sauvé par des voisins turcs qui l'ont confié à un convoi de réfugiés.

La reconnaissance du génocide est un thème fédérateur de la communauté arménienne, par ailleurs hétéroclite et totalement intégrée. Même les plus assimilés, affirme Hasmig Kevonian, directrice de la Maison de la Culture arménienne d'Alfortville, près de Paris, "se joindront aux manifestations pour la reconnaissance du génocide".

Surnommée "la petite Arménie", Alfortville compte 17 associations arméniennes, une église, une école bilingue et nombre de restaurants arméniens.

"Nous sommes totalement intégrés", dit-elle, d'autant que 80% des mariages célébrés dans les églises arméniennes à Paris, à Lyon ou à Marseille sont des mariages mixtes, selon une association arménienne, "mais nous luttons contre l'assimilation".

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Charles Aznavour salue la reconnaissance du génocide arménien

PARIS (AP) -- Le chanteur Charles Aznavour a salué jeudi la reconnaissance du génocide arménien ''sans aucun triomphalisme surtout'', car ''c'était une chose qui devait se faire un jour ou l'autre et qui continuera à se faire dans tous les pays''.

''Le plus important, c'est que le gouvernement turc un jour prenne la décision de le reconnaître'', a déclaré le chanteur d'origine arménienne sur Europe-1.

''Vous savez comment c'est en politique, il arrive un moment où il y a un certain terrain commun qui joue'' et ''bientôt je pense que la Turquie rentrera dans la communauté européenne et ça changera beaucoup de choses'' a-t-il prédit. AP

 

Ankara s'indigne de la reconnaissance du génocide arménien

ANKARA (Reuters) - La Turquie a vivement condamné la reconnaissance par le Parlement français du génocide arménien de 1915, et a fait savoir qu'elle rappelait son ambassadeur à Paris pour consultations.

Le ministre d'Etat Rustu Kazim Yucelem a déclaré lors d'une conférence de presse que le Parlement français avait commis une erreur face à l'Histoire.

"Ce vote affectera les relations entre la Turquie et la France de façon importante et durable. Il ouvre la voie à une grave crise dans nos relations", a-t-il dit.

"L'ambassadeur de la République turque a été rappelé à Ankara pour des consultations", a-t-il ajouté.

Par ailleurs, le ministre turc des Affaires étrangères Ismail Cem a convoqué à son ministère l'ambassadeur de France à Ankara Bernard Garcia, afin de faire part de la colère turque par les voies diplomatiques.

Citant des remarques adressées par Cem à l'ambassadeur français, le porte-parole du ministère Huseyin Dirioz a déclaré à Reuters que la Turquie regrettait de ne pas avoir vu le gouvernement français faire de sérieux efforts au cours du débat parlementaire pour empêcher la ratification de la loi.

"A partir de maintenant, nous voulons que le gouvernement français agisse avec responsabilité et utilise tous les moyens dont il dispose face à cette crise", a ajouté Dirioz, citant à nouveau des propos du ministre.

La Turquie estime que cette loi portera atteinte aux relations économiques entre les deux pays et à la paix régionale - une référence claire à l'Arménie, qui partage une frontière avec la Turquie.

la Turquie nie tout génocide, parlant d'affrontements orchestrés par la Russie lors de la chute de l'empire ottoman.

L'Assemblée nationale française a adopté jeudi à l'unanimité et dans les mêmes termes la proposition de loi votée par le Sénat le 8 novembre dernier qui dispose que "la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915".

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Loi sur le "génocide", Paris tente de dédramatiser

PARIS, 18 jan (AFP) - La France, qui est devenue jeudi le premier grand pays occidental à reconnaître le génocide arménien du début du siècle, a, dès avant le vote définitif d'une loi sur ce sujet par le Parlement français, tenté de dédramatiser cette prise de position.

Les apaisements donnés par Paris et l'assurance répétée que cette loi n'était pas dirigée contre la Turquie, "amie de la France", n'ont visiblement pas rasséréné les autorités d'Ankara qui ont rappelé pour "consultations" leur ambassadeur en France, Sonmez Koksal et annoncé, par la voix du Premier ministre Bulent Ecevit, des représailles sans en préciser la nature.

Le rappel d'un ambassadeur est une procédure peu usitée. Dans un passé récent, la République Fédérale de Yougoslavie (RFY) au moment des bombardements de l'OTAN et l'Irak lors de l'opération "Tempête du Désert" contre ce pays ont rappelé leurs ambassadeurs à Paris.

Le ministère français des Affaires étrangères, interrogé sur le rappel du diplomate turc, s'est borné a indiquer qu'il s'agissait d'une "décision souveraine d'un Etat souverain qu'il n'est pas d'usage de commenter".

La France, avisée depuis plusieurs semaines par le gouvernement et le parlement turcs de ces sanctions si la loi était votée par l'Assemblée Nationale (chambre basse), n'avait eu de cesse, depuis que des textes sur le génocide arménien sont discutés à l'Assemblée ou Sénat (chambre haute) de tenter de se distancier de ces initiatives parlementaires.

Ainsi après l'adoption d'une proposition de loi par le Sénat en novembre dernier, le ministre français des Affaires étrangères Hubert Védrine avait exprimé "des réserves quant à l'opportunité d'une démarche législative" sur la reconnaissance du génocide.

Le gouvernement français, dans un communiqué conjoint émanant du président Jacques Chirac et du gouvernement socialiste, avait indiqué que le vote du Sénat ne constituait pas "une appréciation de la Turquie d'aujourd'hui" et souligné qu'il était intervenu à l'initiative du pouvoir parlementaire et qu'il "relevait de sa responsabilité".

La présidence et le gouvernement français avaient souligné avec force que "la France souhaite continuer à entretenir et à développer avec la Turquie des relations de coopération étroite dans tous les domaines".

Jeudi matin, le ministre socialiste des Relations avec le Parlement Jean-Jack Queyranne, sans s'opposer explicitement à l'adoption du texte, a rappelé devant les députés le propos de M. Védrine qui avait, à l'époque, demandé que le Parlement "tienne compte" des "incidences" du texte sur la politique de la France dans la région.

M. Queyranne a expliqué que la politique française était "fondée sur le dialogue et la compréhension mutuelle" pour qui la France est "l'amie de la Turquie moderne" comme elle est "l'amie de l'Arménie".

"Le vote que vous allez émettre aujourd'hui se prononce sur un passé douloureux. Il ne vaut ni pour le présent ni pour l'avenir. Il ne peut être un acte d'accusation", a-t-il dit.

Le parlement français a définitivement adopté par un ultime vote unanime des députés présents, une proposition de loi reconnaissant comme un génocide les massacres et déportations d'Arméniens perpétrés sous l'empire ottoman entre 1915 et 1917, malgré une sévère mise en garde du Premier ministre turc Bulent Ecevit.

Ce vote a été acquis à l'unanimité de la cinquantaine de députés présents -sur un total de 577- dans l'hémicycle, qui se sont levés pour applaudir l'adoption.

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La reconnaissance du génocide, un processus parlementaire de deux ans et demi

PARIS, 18 jan (AFP) - Le vote des députés jeudi est l'aboutissement d'un processus parlementaire entamé en mai 1998, qui conduit la France à reconnaître "publiquement le génocide arménien de 1915", sans en désigner les responsables.

Le 29 mai 1998, l'Assemblée nationale adopte, à l'unanimité, une proposition de loi du groupe socialiste stipulant dans son article unique : "La France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915".

Des sénateurs favorables au texte tentent alors de faire inscrire la proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat, mais ils se heurtent à l'hostilité du gouvernement et de la commission des Affaires étrangères de la Haute Assemblée.

Finalement, après l'échec de plusieurs tentatives, le Sénat approuve un texte identique à celui de l'Assemblée nationale, le 8 novembre 2000, à l'initiative notamment de Jean-Claude Gaudin (DL, Bouches-du-Rhône). Le vote est acquis par 164 voix contre 40 et 4 abstentions.

Toutefois, la validation définitive par le Parlement du texte doit encore attendre. En effet, si la proposition Gaudin est identique sur le fond, elle n'est juridiquement pas la même que celle adoptée en mai 1998 par les députés et il faut un nouvel examen par l'Assemblée.

Le gouvernement, par la voix du ministre des relations avec le Parlement Jean-Jack Queyranne, déclare alors "s'en remettre à l'initiative parlementaire" pour l'inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée.

C'est finalement le groupe UDF qui s'en charge, en utilisant son ordre du jour réservé.

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La France reconnaît le génocide arménien de 1915 --par Emmanuel Georges-Picot--

PARIS (AP) -- L'Assemblée nationale a adopté définitivement jeudi la proposition de loi sur la reconnaissance officielle par la France du génocide arménien de 1915, en dépit des menaces de la Turquie et des réserves du gouvernement.

Ce texte d'un seul article -''la France reconnaît publiquement le génocide arménien de 1915''- a été voté à l'unanimité par les députés. La même proposition de loi avait été adoptée dans la nuit du 7 au 8 novembre 2000 par le Sénat. Le texte sera promulgué dans les prochains jours par le gouvernement.

Les députés, qui avaient déjà reconnu le génocide arménien le 29 mai 1998, n'ont pas suivi l'avis du gouvernement, représenté dans l'hémicycle par le ministre des Relations avec le Parlement Jean-Jack Queyranne.

Sans nier la réalité de la ''tragédie qui s'est abattue sur les Arméniens au début du siècle'', M. Queyranne, qui n'a employé qu'en passant le mot de ''génocide'', a insisté sur les ''exigences'' de la politique étrangère de la France, alors que la Turquie est candidate à l'adhésion à l'Union européenne.

''La France est l'amie de l'Arménie (...). Elle est aussi l'amie de la Turquie moderne, qui ne peut être tenue pour responsable de faits survenus dans les convulsions de l'Empire ottoman'', a rappelé le ministre des Relations avec le Parlement.

''La voix de la France est écoutée dans la région où vivent ces peuples et elle doit le rester. Loin de stigmatiser, elle doit chercher à apaiser'', a souligné M. Queyranne.

Ces propos alambiqués n'ont pas convaincu les députés. ''Vous êtes tenu par les exigences du Quai d'Orsay. Nous l'avons tous compris ici'', a lancé Patrick Devedjian (RPR) à M. Queyranne. ''Blessé'' par le discours du ministre, le porte-parole du RPR, lui-même d'origine arménienne, a repoussé en bloc les arguments du gouvernement. ''Ceux qui veulent faire entrer la Turquie dans l'Union européenne devraient au moins avoir la décence de lui demander d'être présentable'', a-t-il dit.

Le rapporteur de la commission des Affaires étrangères François Rochebloine (UDF) a estimé de son côté que la reconnaissance du génocide arménien, loin de ''condamner'' la Turquie, ''trace la voie de l'ouverture vers le respect des droits de l'homme et l'établissement de relations confiantes avec ses voisins''. Quant aux menaces de sanctions économiques de la Turquie, ''il vaut mieux perdre un, voire des marchés que de perdre son âme'', a lancé le rapporteur.

La résolution adoptée jeudi par le Parlement satisfait les revendications des représentants des Français d'origine arménienne, qui militent depuis des années pour la reconnaissance du premier génocide du XXe siècle.

Sur le 1,8 million d'Arméniens qui vivaient dans l'Empire ottoman avant la Première guerre mondiale, 1,2 million ont été massacrés sur ordre du gouvernement turc. Le caractère massif, planifié et ciblé de ces massacres préfigure la Shoah.

Avant la France, la Belgique, l'Argentine, l'Italie et le Parlement européen ont déjà reconnu le génocide arménien. En novembre 2000, un projet de résolution avait été présenté devant la chambre des Représentants du Congrès des Etats-Unis, avant d'être retirée au dernier moment après des pressions du gouvernement turc.

Ankara a tenté jusqu'au dernier moment d'exercer la même pression sur la France. Le Premier ministre turc Bulent Ecevit a reçu mercredi l'ambassadeur de France à Ankara Bernard Garcia pour l'avertir que les relations entre les deux pays ''subiraient un dommage durable et de grande ampleur'' si la proposition de loi était votée.

L'adoption de ce texte a nécessité près de trois années de débats parlementaires. Le processus a été bloqué pendant deux ans par le refus du bureau du Sénat d'inscrire la proposition à l'ordre du jour de la Haute-Assemblée.

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La communauté arménienne en France

PARIS, 18 jan (AFP) - La communauté arménienne en France compte aujourd'hui quelque 500.000 membres, soit la plus importante en Europe occidentale selon le Centre de recherches sur la diaspora arménienne (CRDA).

Trois vagues d'immigration marquent principalement son arrivée sur le territoire français : celles de négociants à Marseille au 17ème siècle, des rescapés du génocide de 1915 par les Turcs (non reconnu par Ankara) et de ressortissants plus jeunes nés au Proche-Orient et en Turquie.

Survivants et descendants (troisième et quatrième générations aujourd'hui) sont répartis dans trois zones géographiques avec 200.000 personnes en région parisienne, 150.000 à Marseille (sud de la France), 100.000 en Rhône-Alpes, notamment à Lyon (est). La localité d'Alfortville, près de Paris, surnommée "la petite Arménie", reste la ville la plus représentative de la diaspora française avec un Arménien pour six habitants.

La communauté vit dans une assez grande pluralité politique et religieuse, une majorité restant fidèle à l'église nationale arménienne (chrétienne orientale). Elle entretient par ailleurs un travail important de culture et de mémoire avec au moins six établissements scolaires arméniens, une centaine "d'écoles du dimanche" ainsi que la création du CRDA en 1976. Ce dernier conserve des milliers de documents sur l'histoire du peuple arménien, marquée essentiellement par le génocide de 1915. Les massacres et déportations d'Arméniens perpétrés par les Turcs sous l'Empire ottoman de 1915 à 1917 ont fait 1,5 million de morts, selon les Arméniens, et entre 250.000 et 500.000, selon les Turcs qui refusent de reconnaître qu'il s'agit d'un génocide.

Le Parlement français a adopté jeudi une loi reconnaissant ce génocide, principale revendication de toute la communauté arménienne.


  Charles Sarafian Janvier 2001